Tours fut notre point de chûte et de ralliement en vallée de la Loire, point central entre tous les châteaux que nous voulions admirer. Parfois difficile à joindre, il faut en convenir (surtout lorsqu'on rate son train en se trompant et prenant un aller pour Paris, on prend son mal en patience, on visite Sablé-sur-machin et Le Mans -enfin leurs gares-, puis on rentre lessivés), mais une ville coquette. Avec ses jolies maisons à colombage de sa vieille ville, elle a le charme particulier de la région plus au nord de la France.
Ruelles étroites, on les emprunte pour rentrer à l'auberge de jeunesse, où j'aide parfois une jeunesse octogénaire, Elise, avec les problèmes du quotidien. Quasiment aveugle, elle est venue chercher secours à St-Martin, la paroisse juste à côté, où les petits frères des pauvres l'ont référée. "La pauvreté, ce n'est pas que le manque d'argent, c'est aussi la solitude", profère-t-elle sagement pendant que je lui cherche son déjeuner. Une fois à table, ses conseils se tournent plutôt vers les avantages indubitables qu'offrent les robes, chapeaux et sacs de tissu jeans qu'elle porte, non sans fierté. Je pourrais dire que le ruisseau de sagesse mystique est tari, que le charme est rompu. Mais non, simplement que dans une auberge de jeunesse, je fais un peu de gériatrie (selon les dires des employées qui n'ont, apparemment, aucune envie de m'imiter). Je préfère dire que j'échange. Des conseils plus ou moins avisés, j'achète, contre un peu d'aide et de mon temps, et plus cher encore, la présence de Ivan qui n'a rien pu faire avant que je l'invite à notre table. Un peu moins de solitude pour celle qui s'en plaint, où après sa demande à la cantonade "Quelqu'un parle français? On peut m'aider", la salle s'est soudain faite plus polyglotte qu'avant.
L'église où elle est référée, haut lieu de pèlerinage, rompra sans doute mieux que moi sa solitude avec sa flopée de pèlerins et ses quelques irréductibles fidèles. Son dôme surprend, il fait presque moyen-oriental, ou florentin. Comme quoi le dépaysement en terre française tient à peu de choses.
A Tours on s'étonne. Y aurait-il donc une fixation sur le pucelage? On tombe sur quelques établissements, comme le bar "Les trois pucelles", dont le nom nous fait bien rigoler. Puis, lents à la détente, on comprend enfin devant "La pucelle armée" la raison de cette fixette amusante pour qui n'a pu contextualiser. Car ce serait là que la mythique Jeanne aurait été pourvue de son harnois et de son étendard. Tours donne l'occasion de raviver le souvenir, toujours vivace, d'un des grands symboles de la France, la Marianne version Moyen-Âge, dont l'image a enflé avec le temps et est devenue la représentation même de la France libérée de l'occupation. Mystique reçue par le monarque du moment, le désemparé Charles VII, n'était-elle pas grandiose exception? En fait... comme l'aristocratie de l'époque recevait fréquemment ses devins et mystiques, et présumait que ne pas écouter une de ces mystiques conduirait au malheur, il n'est pas exceptionnel qu'elle fut reçue. A l'époque même cependant, elle était déjà un symbole. Son lien avec le divin ou le malin signifiait le tort ou la raison des royaumes de France et d'Angleterre dans leur lutte âpre.
Car manichéisme oblige, Dieu était avec l'un et pas avec l'autre, restait à savoir qui. Voilà d'ailleurs pourquoi elle fut brûlée, puis réhabilitée, par simple nécessité politique. Douée de pouvoirs, je doute qu'elle le fusse, mais imprégnée de la volonté populaire de se débarrasser de l'occupation anglaise et des lots de mercenaires qui ravageaient la terre, elle l'était assurément. Et dépassée par le domaine martial et politique, assurément. Mais, sachant que son courage était mû principalement par une naïveté certaine face aux choses de la guerre (On fonce et Dieu fera le reste, au diable la stratégie), et une certaine obstination aveugle (elle était incapable de concevoir la perception d'autres individus ni d'altérer son raisonnement en quoi que ce soit), est-ce fondé de la louer comme une cassandre crue un instant puis reniée, morte en martyr? Peut-être, vu la beauté de l'histoire, comprend-on la naissance de ce symbole national, mais entre son mythe grandi par les romantiques et sa réalité, la marge est grande.
Tours, comme toute bonne ville française d'envergure, est pourvue de sa cathédrale, au saint patron obscur, Saint-Gatien, qui est de surcroit saint patron des cathédrales. Lors de la visite, une parcelle de récit amusante pouvait être aperçue sur un vitrail, narrant le vol du cadavre de celui qui fut fait saint, l'Evêque Gatien de Tours ou bien Martin de Tours, un de ses successeurs. Mort ailleurs, les moines de tours, pour rapatrier le cadavre, l'ont volé en le faisant passer par une fenêtre. La dentelle de pierre est toujours aussi jolie et impressionnante, mais l'histoire de son patron est la plus amusante de tous ceux que je pus connaitre en errant dans je ne sais combien d'églises de France.
L'église est reliée au cloître de la Psalette, où étaient enseignés autrefois la musique et le chant des psaumes. On découvre avec un certain émerveillement cette enclave de pierre, tout aussi ouvragée que la cathédrale même. On y voit les marques de l'architecture de la renaissance. On y voit aussi, remarquez, quelques empreintes des passages dans la psalette, sous forme de graffitis multiples dans la pierre de ses couloirs. Certains, on le présume au vu des dates inscrites, pourraient être d'époque. Mais même les historiens s'y perdent. L'une est datée des années 2000. Au moins celle-là on est sûrs de son authenticité. Machin + truc. Ah, sont-ils encore ensemble? Le graver dans un bâtiment renaissance et se larguer, ce serait con, quand même. "Ah, on a passé 40 ans ensemble. On se déteste, mais on a pas le choix, comme on l'a gravé sur un monument historique du coup ce serait trop bête de se séparer..." Chacun pense laisser sa griffe en s'achetant ainsi un peu d'immortalité et de souvenir. Mais ainsi, chacun se perd dans la foule des autres noms, apportant confusion puis, par la suite, désintérêt pour la multitude confuse qui a laissé son nom dans l'espoir d'immortalité. Mais on se demande, pourquoi admirer les noms séculaires gravés dans la pierre, au dessous des murs encore peints, et ne pas admirer truc et machin qui ont gravé la chose hier dans l'espoir qu'ultérieurement, on spécule sur ces amoureux d'autrefois en visitant. Espérons que je fus juste, j'ai spéculé maintenant.
Quelques photos du cloître :
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