jeudi 12 août 2010

Mer de glace

Voilà qu'hier je me suis trouvée aux abords d'un glacier bien connu, et force est d'admettre, un peu trop visité, qu'est ce bras d'eau glacée s'étirant paresseusement du flanc du Mont Blanc, près de Chamonix.

J'aurais aimé éprouver la fascination mystique de Napoléon III (et de ses 60 guides) face à une immense étendue gelée dont encore aujourd'hui on fait grand cas. Au terme de la montée, on discerne une grande vallée où semblent s'être accumulés gravier et rochers tombés du flanc de la montagne. Erreur : il s'agit du glacier en question. En plissant les yeux, au fil de la descente, on peut discerner le reflet bleuté de la glace sous l'amas rocheux.

Au fil de la descente aussi, au gré des 300 quelques marches aménagées pour la descente vers le glacier, à partir d'une télécabine, on peut apercevoir l'évolution, ou plutôt la régression du glacier. D'abord on évoque l'année 1980. Pas de chance, le glacier est encore loin. De sa position en hauteur, il ne reste qu'un panneau menu, un souvenir vague de son ancienne ampleur. Pourtant, dans les années '80, le glacier était déjà rogné. On a un panneau 2000, 2003, 2005... D'année en année, la fonte semble s'être accentuée. Les escaliers, prolongés pour la énième fois, descendent jusqu'en bas.

Pourtant, dans la longue file qui serpente jusque dans cette vallée qui semble dénudée, on ressent un peu de fébrilité. C'est possible, après tout serait-on en train de cheminer vers un être en voie de disparition, une entité qui bientôt ne sera plus? Assurément. Une merveille de la nature disparue, en tous les cas.

Vu la moquette couvrant le sol de la grotte ainsi que les passerelles aménagées pour que le moins en forme des touristes n'ait pas à se fatiguer ou se mettre en péril, c'est une merveille de la nature tout ce qu'il y a de plus apprivoisée. On pénètre dans les lieux. Éclairage multicolore changeant. "Il y a une boite de nuit, au fond de la grotte?" Vu l'aménagement des lieux, la question a sa place.

On avance. Dans la glace, on a sculpté chambre à coucher de glace, salles de bain de glace, salon de glace avec vaste foyer de glace devant lequel on se bouscule pour prendre des photos. "L'homme a besoin de référents connus pour faire œuvrer son imagination", me souffle-t-on. Pour susciter la féérie, autant que ça ressemble à un salon ou une salle de bain, peut-être.

"L'homme quitte son chez-soi pour en trouver un autre"

Craignait-on de laisser la grotte à elle-même, dans ses atours naturels? Aurait-on eu peur que les touristes blasés se retournent contre les responsables : "Pas assez d'effets, pas assez haut en couleur, il en faut plus pour m'émerveiller, remboursez!"

Tout est joli, d'une beauté cependant trop domestiquée. On ne ressent que peu le poids du glacier qui pèse sur soi, on réfléchit peu à la beauté naturelle de ces glaces qui autrefois furent éternelles. De jolies couleurs, un tour vite accompli. On admire plus qu'on ne pense. Hélas.

On peut se permettre la réflexion, non-incluse dans le forfait. Comme le trajet n'est pas donné, et comme les pensées concernant la mer de glace ne sont pas nécessairement gaies, on les comprend.

Au détour du chemin, on glâne un peu de la beauté des lieux, celle non-aménagée. Sans trop tarder toutefois : on presse un peu derrière, le lieu est achalandé. On capture l'instant et l'image, que faire de plus. Une stalactite de glace près de l'entrée, entourée du halo lumineux de l'orée de la grotte. On savoure l'instant, la présence en un lieu appelé à sa dislocation pour éviter l'accès de mélancolie.

Les gens courent sous un rideau d'eau de fonte près de l'entrée, s'en vont en emportant une ou deux gouttes du glacier avec eux.

Au retour, dans la télécabine, une mère avec sa jeune enfant : "Quel héritage laissera-t-on à nos enfants? En tous les cas, pas la mer de glace. Dans 20 ans, elle aura disparu. Et dans l'état où elle est, je ne la laisserais pas à ma fille." Le plus triste, c'est que l'avenir risque de ne pas lui donner tort.

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